Dans sa version numéro 1, le confinement a inéluctablement soulevé la question du paiement des loyers commerciaux. Dans quelle mesure le locataire, ralenti dans son activité ou contraint de la cesser, peut-il s’exonérer du paiement des loyers s’opposer au paiement du loyer ?
En synthèse, un arrêté du 14 mars 2020 (modifié par arrêté du 15 mars) a ordonné la fermeture de l’ensemble des commerces « non essentiel » contraignant de nombreux commerçants à fermer leur établissement.
La question des moyens juridiques d’exonération du paiement des loyers s’est alors rapidement posée chez les preneurs qui ont estimé que le bailleur ne remplissait plus son obligation fondamentale de délivrance (article 1719 du code civil).
Celle-ci consiste non seulement à remettre le local loué mais aussi à permettre au locataire d’exercer l’activité conforme à la destination des lieux.
La crise sanitaire et le confinement ont privé les commerces fermés du lieu loué, de sorte que des locataires ont tenté, pour s’opposer au paiement de leur loyer d’arguer du manquement du bailleur à son obligation de délivrance (bien que celui-ci se soit vu également imposé cette situation).
Deux moyens pouvaient essentiellement permettre au preneur de s’opposer au paiement des loyers : la force majeure et « l’exception d’inexécution ».
En d’autres termes, il s’agissait de voir considérer que la crise sanitaire et le confinement constituaient un évènement de force majeure ou que la fermeture imposée des commerces justifiait l’inexécution de l’obligation au paiement du loyer.
Ainsi, l’article 1218 du Code civil dispose que : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
L’exception d’inexécution prend son siège dans l’article 1219 du code civil qui prévoit :
« une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
L’article 1220 précise en outre : « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. »
La cour de cassation a pu déjà juger le locataire bien fondé à opposer l’exception d’inexécution à son bailleur pour s’opposer au paiement du loyer afférent à une période pendant laquelle il n’a pas occupé les locaux en raison de travaux de désamiantage dans les lieux loués décidés par le bailleur et alors que l’inspection du travail avait écrit au preneur que tout risque de propagation de l’amiante n’était pas écarté pour les salariés. (Cass. civ. 3ème19 nov. 2015, n° 14-24612)
Avant encore, la cour de cassation avait jugé que le preneur pouvait soutenir à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance même lorsque la force majeure était à l’origine de ce manquement (Cass. Civ. 3ème 7 mars 2006, n° 04-19639).
Il a donc été rapidement imaginé que la crise sanitaire et le confinement pourrait être considéré comme un évènement de force majeure justifiant la suspension du paiement des loyers.
En droit, la force majeure caractérise l’évènement extérieur, irrésistible et imprévisible, les trois critères étant cumulatifs.
Face à l’inédit, la jurisprudence s’est rapidement trouvée tenue de répondre à une question jusqu’à présent non tranchée : les mesures sanitaires imposées par une pandémie revêtent-elles, en droit, les caractéristiques de la force majeure ?
Assez rapidement, quelques décisions sont intervenues en matière d’assurance aux termes desquelles, sauf exception contractuelle précisément déterminée, la crise sanitaire ne pouvait imposer aux compagnies d’assurance de prendre en charge les préjudices de perte d’exploitation en raison de la pandémie.
Quid en matière de loyers commerciaux où quelques décisions permettent d’entrevoir une ligne directrice, bien que la cour de cassation n’ait pas encore eu à se prononcer ?
A ce jour, la jurisprudence apparaît plutôt favorable aux bailleurs, rejetant les moyens tirés de la force majeure et de l’exception d’inéxécution.
En voici quelques unes :
- Tribunal judiciaire de PARIS 10/07/2020 : pour rejeter l’opposition du preneur ( en l’espèce un restaurateur) au paiement des loyers échus pendant la période de fermeture administrative du 14 mars au 2 juin 2020. Le tribunal s’est placé sur le terrain de l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat, rappelant que l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’avait pas pour effet de suspendre le paiement des loyers et que le contrat de bail devait être exécuté de bonne foi par les parties (Article 1134 devenu 1104 du code civil).
Le Tribunal a notamment rappelé qu’en application de cette disposition, les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier la nécessité d’une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. En l’espèce, le bailleur avait proposé des aménagements de règlement du loyer alors que le locataire était resté silencieux.
- Tribunal judiciaire de Paris 26/10/2020 : le tribunal reprend la même motivation quant à l’absence de suspension des loyers et l’obligation d’exécution du bail de bonne foi. Il rejette le moyen tiré de la force majeure. A ce titre, le tribunal considère que :
- la force majeure ne peut jouer s’agissant d’une obligation de somme d’argent (puisqu’il est toujours possible de payer) ,
- La crise sanitaire n’induit pas de manquement à l’obligation de délivrance du bailleur.
- Tribunal judiciaire de Boulogne sur mer, ordonnance de référé du 04/11/2020 Le tribunal a décliné sa compétence au profit du juge du fond au regard des analyses juridiques divergentes et renvoie devant le juge du fond.
- Cour d’appel de GRENOBLE le 5/11/2020 : là encore la Coura rejeté les moyens tirés de l’exception d’exécution et de la force majeure. Elle fait droit à la demande du bailleur en paiement des loyers.
Il s’agit de la première décision rendue par une cour d’appel et revêt à ce titre un intérêt particulier.
La cour d’appel a rejeté le moyen de l’exception d’inexécution au motif que « le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage »
Quant à la force majeure la Cour a jugé : « il n’est pas justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles ».
A contrario, la cour pose la question de la recevabilité du moyen tiré de la force majeure si le locataire pouvait justifier de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer des loyers.
- Tribunal de commerce de Paris Référé du 12/12/2020 : Le tribunal a une nouvelle fois rejeté les moyens du locataire et écarté encore la force majeure en jugeant « Si l’obligation de paiement qui pèse sur le preneur est certes rendue plus difficile par un évènement aussi contraignant que la Covid 19, celui-ci advient après d’autres épidémies récentes ; de plus, il a été largement annoncé mondialement avant même la mise en œuvre de la réglementation sanitaire française concemant la fermeture temporaire des commerces non essentiels ; en cela, ce phénomène ne peut être qualifié d’imprévisible et donc assimilé à un cas de force majeure, »
Il rajoute : « Au surplus, le droit positif n’a jamais reconnu que le cas de force majeure puisse exonérer un débiteur de son obligation de paiement d’une somme d’argent,
Sur le terrain de l’obligation de délivrance et de la perte de la chose louée, le tribunal rejette le moyen du locataire et estime : « Même si l’accès du lieu loué a été temporairement interdit au public, les mesures sanitaires n’ont pas fait cesser sa mise à disposition par le bailleur ni la possibilité pour le locataire d’en jouir puisqu’il pouvait toujours y accéder physiquement, »
Le locataire se voit également débouté sur le fondement de l’imprévision (article 1195 du code civil) « force est de considérer que le montant du loyer contractuellement convenu est resté le même pendant les événements et n’est donc pas devenu « excessivement onéreux » ce qui aurait pu ouvrir droit à sa révision.
En définitive, le tribunal s’est attaché à n’examiner, de manière assez concrète, que le principe de bonne foi et la situation de trésorerie, et constate :
« bien que très minoré par rapport à la même période de l’année précédente, le chiffre d’affaires réalisé par le locataire pendant la période du 1° confinement a été 6 fois supérieur au coût du loyer,
o le bailleur justifie avoir dès le 9 juin 2020 proposé au locataire l’étalement des loyers pour la période du 14 mars au 10 mai 2020, proposition à laquelle il n’a pas été donné suite,
o Le locataire, interrogée à l’audience, est restée taisante sur une éventuelle assurance « perte d’exploitation » ainsi que l’obtention d’un prêt PGE auquel elle était normalement éligible,
Elle ne produit aucune situation de trésorerie, ».
En synthèse, la tendance jurisprudentielle est pour l’instant assez nette et favorable au bailleur, rejetant un à un les moyens juridiques qu’ont tenté d’opposer les preneurs.
La position de la cour de cassation est évidemment attendue.
Une brèche s’ouvre peut-être avec une très récente décision du tribunal judiciaire de Paris en date du 20 janvier 2021 rendue par le juge de l’exécution.
Il estime que l’impossibilité juridique d’exploiter les lieux loués en raison du confinement décidé par les pouvoirs publics, survenue en cours de bail, correspond à une perte de la chose louée de sorte que le locataire est donc libéré de l’obligation de payer le loyer durant cette période du premier confinement.
La sévérité de la jurisprudence à l’égard des locataires peut sans doute trouver une explication dans les différentes mesures de soutien dont ont bénéficié ou bénéficient encore certains preneur à bail de sorte qu’il n’étaient pas impossible d’assumer le loyer.
En revanche, on sait que les bailleurs sont incités à aménager le paiement des loyers voir à renoncer au loyer en contrepartie d’un crédit d’impôt.
Quid si la jurisprudence vient finalement contraindre les bailleurs à abandonner les loyers échus pendant les périodes de fermeture imposées par les pouvoirs publics ? Ne faudrait-il pas alors envisager sérieusement la question des mesures de soutien à apporter aux bailleurs ?