La prescription opposable a la banque en matière de crédit

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En droit français, toute action est en principe enfermée dans un certain délai, au-delà duquel elle ne peut plus être intentée.

Ainsi, lorsqu’un établissement de crédit souhaite obtenir remboursement d’un crédit qu’il a accordé, il doit agir avant expiration de ce délai de prescription.
Il existe différents délais opposables à la banque selon la situation.
Ainsi, généralement, l’établissement de crédit doit agir dans les 2 ans de l’exigibilité des sommes réclamées lorsque le crédit a été accordé à un consommateur.
Elle dispose généralement de 5 ans pour agir en matière de prêts professionnels.
Enfin, quelle que soit son emprunteur, si elle a obtenu un jugement fixant sa créance, elle dispose alors de 10 ans pour en obtenir l’exécution, et donc paiement.
Tous ces délais de principe sont cependant soumis à aménagements et exceptions selon les circonstances.

Comme toute action, les demandes qui peuvent être formulées par un établissement bancaire souhaitant obtenir remboursement de son concours, sont soumises à prescription.
L’établissement bancaire doit donc, avant de se lancer dans une procédure, s’assurer que l’action envisagée ne se heurte pas à la prescription.
Il s’agit d’un préalable nécessaire, pour éviter les écueils de cette cause d’irrecevabilité.
L’emprunteur assigné a pareillement tout intérêt à vérifier que sa banque n’encourt pas de prescription.
Le délai de prescription, tout comme son point de départ, et ses modalités de calculs varient cependant en fonction de l’action intentée, mais également de la qualité de professionnel ou consommateur de l’emprunteur.
L’action en paiement d’un établissement de crédit peut être soumise à différentes prescriptions, ou forclusions.
Il convient donc de déterminer celle applicable avant de rechercher si elle est ou non acquise.
La prescription doit être invoquée par la partie qui entend s’en prévaloir.
Les juges ne peuvent la soulever d’office (Article 2247 du code civil).
Tout délai de prescription est susceptible d’interruption ou de suspension selon conditions édictées par les articles 2233 à 2246 du code civil auxquels il convient de se reporter pour de plus amples précisions ( ) .
La Cour de cassation a ainsi confirmé dans un arrêt du 10 décembre 2014 que le délai de prescription biennale de l’article L137-2 (devenu L218-2) bénéficiait bien des causes d’’interruption puisque constituant bien un délai de prescription et non de forclusion (1e civ. 10.12.2014 : n°13-23538 )

Prescription applicable en cas de créance ne résultant pas d’une décision de justice

Nous allons ici déterminer quelle est la prescription qui pourrait lui être opposée lorsque l’établissement bancaire agit en recouvrement de sa créance (c’est-à-dire qu’elle engage une saisie…), lorsqu’elle dispose d’un titre exécutoire constitué non pas par un jugement mais par un acte notarié (prêt accordé devant Notaire),
Ou qu’elle ne dispose pas encore d’un titre exécutoire, et qu’elle saisisse précisément le tribunal afin d’obtenir la condamnation de l’emprunteur (ou la caution) à lui régler les sommes lui étant dues).

Action à l’encontre d’un professionnel ou non-consommateur

La prescription applicable aux emprunts souscrits pour les besoins d’une activité professionnelle, ou à minima par une personne ne pouvant être qualifiée de consommateur, est la prescription de droit commun :
Il s’agit de la prescription quinquennale, dont le point de départ est en principe le premier incident de paiement (articles L110-4 du code de commerce et 2244 du code civil).
La banque doit donc agir dans les cinq ans à compter du premier impayé non régularisé lorsque son débiteur a emprunté pour les besoins de son activité professionnelle, ou à tout le moins qu’il ne peut être considéré comme un consommateur.
A défaut sauf à ce qu’elle puisse se prévaloir d’une cause de suspension ou d’interruption, elle n’est plus recevable à agir.

Prescription et forclusion applicables à tout prêt accordé à un non-professionnel

Forclusion spécifique aux crédits à la consommation
En sus de la prescription, lorsque l’établissement bancaire souhaite obtenir paiement d’un prêt à la consommation régi par les articles nouveaux L312-1 et suivants (anciennement L311-1 et suivants) son action sera également soumise à un délai de forclusion de deux ans, dont le point de départ se situe au jour du premier incident de paiement non régularisé.
Constitue un prêt à la consommation soumis à ce délai de forclusion tout crédit accordé à un consommateur, ainsi qu’à son cautionnement, à l’exclusion des concours suivants :
« 1° Les opérations de crédit destinées à permettre l’acquisition ou le maintien de droits de propriété ou de jouissance d’un terrain ou d’un immeuble existant ou à construire, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien du terrain ou de l’immeuble ainsi acquis ;
2° Les opérations de crédit garanties par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation relevant des dispositions du chapitre III du présent titre ;
3° Les opérations dont le montant total du crédit est inférieur à 200 euros ou supérieur à 75 000 euros, à l’exception de celles mentionnées à l’article ayant pour objet le regroupement de crédits et de celles destinées à financer les dépenses relatives à la réparation, l’amélioration ou l’entretien d’un immeuble d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation, lorsque le crédit n’est pas garanti par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d’habitation ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d’habitation ;
4° Les opérations consenties sous la forme d’une autorisation de découvert remboursable dans un délai d’un mois ;
5° Les opérations de crédit comportant un délai de remboursement ne dépassant pas trois mois qui ne sont assorties d’aucun intérêt ni d’aucuns frais ou seulement d’intérêts et de frais d’un montant négligeable ;
6° Les opérations mentionnées au ;
7° Les opérations mentionnées au ;
8° Les contrats qui sont l’expression d’un accord intervenu devant une juridiction ;
9° Les contrats résultant d’un plan conventionnel de redressement mentionné à l’article L. 732-1 conclu devant la commission de surendettement des particuliers ;
10° Les accords portant sur des délais de paiement accordés pour le règlement amiable d’une dette existante, à condition qu’aucuns frais supplémentaires à ceux stipulés dans le contrat ne soient mis à la charge du consommateur ;
11° Les cartes proposant un débit différé n’excédant pas quarante jours et n’occasionnant aucuns autres frais que la cotisation liée au bénéfice de ce moyen de paiement. » (Article L312-1 du code de la consommation). »

Comme tout délai de forclusion, il ne bénéficie généralement pas des causes de suspension ou d’interruption classiques (), sauf rares exceptions ().
Ainsi par exemple, dans un arrêt récent, rendu le 23 janvier 2019, la Cour de cassation a jugé que la prescription ne court pas contre la banque qui n’avait pas eu connaissance de la dévolution successorale de l’emprunteur ; le délai de prescription est alors suspendu dans la mesure où elle était dans l’impossibilité d’agir (1e civ.23.01.2019 : n°17-18219…)
Contrairement à la prescription, la forclusion peut être soulevée d’office par les juges. (article 2247 du code civil)
Ce délai de forclusion se superpose, et s’ajoute donc, à la prescription, dont les modalités de calcul sont différentes, si bien qu’elles ne se recoupent pas nécessairement.

Prescription applicable aux prêts accordés à des consommateurs

Le délai de prescription applicable est de deux ans (article L137-2, devenu L218-2 du code de la consommation).
Il s’agit ainsi de la prescription applicable notamment aux prêts immobiliers, comme l’a confirmé la Cour de cassation (1e civ 28.11.2012, 1e civ. 09.04.2014, 1e civ10.07.2014, 1e civ. 03.06.2015 : n°14-14950… ).
Cet article L218-2 dispose en effet « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans »

Depuis quatre arrêts de principe rendus le 11 février 2016, la Cour de cassation a arrêté le point de départ de cette prescription biennale :
« Vu l’article L. 137-2 du code de la consommation, ensemble les articles 2224 et 2233 du code civil ;
Attendu qu’à l’égard d’une dette payable par termes successifs, la prescription se divise comme la dette elle-même et court à l’égard de chacune de ses fractions à compter de son échéance, de sorte que, si l’action en paiement des mensualités impayées se prescrit à compter de leurs dates d’échéance successives, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité ; »

Ce point de départ est ainsi distinct selon la date d’arrivée à échéance de chaque partie de la créance :
Chaque échéance se prescrit à compter de son exigibilité (chaque mensualité dispose donc de son propre point de départ).
Attention, le prélèvement d’une mensualité sur un compte qui ne présente pas un solde suffisant (solde débiteur ou au-delà de l’autorisation de découvert accordée), constitue un incident de paiement, la banque ne devant en principe pas prélever d’échéance lorsque le solde du compte ne le permet pas (voir par exemple en ce sens 1e civ 23.05.2000 : N°98-11.715 publié au bulletin).
En cas d’autorisation de découvert en compte, le premier incident de paiement, constituant donc le point de départ de la prescription, se situe au jour où le compte a présenté un solde débiteur supérieur à l’autorisation accordée (1e civ. 23.05.2000 : publié au bulletin n°157).

Et en cas de déchéance du terme prononcée par le créancier, le point de départ du délai de prescription applicable au capital restant dû et autres sommes réclamées en raison de la déchéance du terme se situe au jour de leur exigibilité, et donc au jour de la résiliation du crédit par la banque (Jurisclasseur Civil Code, art. 2228 à 2232, fasc. unique « Prescription extinctive. Mode de calcul », n° 51).
Cette solution a été réaffirmée depuis lors par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 14 février 2018 : pourvoi n° 16-25.285, 1e civ. 20 décembre 2017 : pourvoi n° 16-12.129…)
Solution qui est parfaitement conforme aux textes applicables ; l’article L218-2 ne précisant pas lui-même le point de départ de la prescription qu’il édicte, il convient de se référer aux textes de droit commun en la matière, à savoir l’article 2233 selon lesquels
Pour ces prêts accordés à des non-professionnels (crédits immobiliers ou autre), la Banque dispose donc d’un délai de 2 ans pour agir en paiement à compter de chaque échéance impayée (un point de départ différent pour chacune des échéances), puis 2 ans pour les sommes restant dues après résiliation du contrat à compter de la date de prononcé de la déchéance du terme.

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Il est quelquefois peu aisé de déterminer si l’emprunteur peut ou non bénéficier de la prescription spécifique édictée par le code de la consommation.
Il en va notamment ainsi pour les SCI de type familiale, qui n’ont pas de réelle activité économique.
La Cour de cassation a, dans un arrêt du 22 septembre 2016 (n°15-18154) écarté la possibilité pour une SCI d’opposer à la banque la prescription biennale (compte tenu de l’article préliminaire du code de la consommation actuel excluant la possibilité pour les personnes morales de se prévaloir du statut de consommateur, or la prescription de l’article L137-2 (devenu L218-2) est réservée « aux consommateurs » (voir déjà en ce sens 2e civ. 03/09/2015 : n°14-18287, et 1e civ.06.12.2017) (NB dans un arrêt du 03.02.2016, la Cour de cassation avait adopté une position moins tranchée : arrêt n°15-14689)

Pareillement pour une caution qui s’était portée garante d’un prêt accordé à une SCI, quand bien même la caution est elle-même une personne physique non-professionnelle, elle ne pourra pas se prévaloir de la prescription biennale de l’article L218-2 du code de la consommation.
La Cour de cassation a en effet jugé que c’est la SCI, personne morale, qui a bénéficié de l’emprunt ; or l’action de la banque, y compris à l’encontre de la caution vise à obtenir remboursement de cet emprunt, qui n’a pas été accordé à un consommateur, et échappe donc à cette prescription raccourcie.
La Cour de cassation a en effet souligné que le cautionnement n’était pas un service fourni par le professionnel au consommateur (1e civ. 06.09.2017 : n°16-15.331 F+P+B ).

Prescription applicable lorsque la créance résulte d’une décision de justice

Dès lors que le créancier dispose d’une décision de justice fixant le montant de sa créance, quel que soit le juge ayant statué (hors rares exceptions tel que le juge du surendettement dont les décisions ne valent que pour la procédure de surendettement), ce montant ainsi déterminé ne peut plus être contesté ou discuté (sauf à ce que le calcul ne soit pas conforme à cette décision).

La prescription applicable à un titre exécutoire a toujours été plus longue que celle applicable à une créance non constatée par un titre.
Depuis la réforme de la prescription, cette durée plus importante ne bénéficie cependant plus qu’aux titres constitués par des décisions de justice.
En revanche les titres qui ne sont constitués que par un acte notarié sont désormais soumis aux délais de droit commun applicables à toute créance ne résultant pas d’une décision de justice.

Depuis la réforme résultant de la loi du 17 juin 2008, la banque qui désire obtenir paiement de sa créance résultant d’une ordonnance, d’un jugement ou d’un arrêt rendu par les juges compétents dispose d’un délai de dix ans.
Il s’agit du délai qui lui est ouvert pour agir en recouvrement de sa créance (amiablement ou via saisie).

L’acte notarié, autre titre exécutoire dont peut disposer l’établissement de crédit ne bénéficie pas de cette prescription décennale, et est soumis à la prescription biennale édictée par l’article L218-2 du code de la consommation ou quinquennale édictée par le code de commerce et le code civil.
Ainsi, depuis la réforme de la prescription, l’’attrait d’un jugement par rapport à un acte notarié pour les établissements de crédit s’est largement accru.
En effet, jusqu’à la réforme de la prescription issue de la loi du 17 juin 2008, l’acte notarié bénéficiait, comme les décisions de justice d’une prescription trentenaire.
Prescription qui a donc été abaissée à 10 ans pour les décisions de justice, et à 2 ou 5 ans (selon la qualité de l’emprunteur), pour les actes notariés.